Pourquoi est-ce que tout va si mal?
Parce que chaque jour qui passe accentue et aggrandi cette plaie.
Et je prie pour succomber de cette souffrance.
"Ca la ronge, j'en suis sûr, mais lentement, patiemment : elle prend le dessus, elle n'est pas capable ni de se consoler ni de s'abandonner à son mal. Elle y pense un petit peu, un tout petit peu, de-ci de-là, elle l'ecornifle. Surtout quand elle est avec des gens, parce qu'ils la consolent et aussi parce que ça la soulage un peu d'en parler sur un ton posé, avec l'air de donner des conseils. Quand elle est seule dans les chambres, je l'entends qui fredonne, pour s'empêcher de penser. Mais elle est morose tout le jour, tout de suite lasse et boudeuse :
- C'est là, se dit-elle en se touchant la gorge, ça ne passe pas.
Elle souffre en avare. Elle doit être avare aussi pour ses plaisirs. Je me demande si elle ne souhaite pas, quelques-fois, d'être délivrée de cette douleur monotone, de ces marmonnements qui reprennent dès qu'elle ne chante plus, si elle ne souhaite pas de souffrir un bon coup, de se noyer dans le désespoir. Mais de toute façon, ça lui serait impossible : elle est nouée."
La nausée de Sartre